Il faut dire que Capcom, et plus particulièrement Hideki Kamiya, avait joué gros, très gros, en prenant le parti de changer une formule qui commençait sérieusement à s'épuiser, les fans de Biohazard n'étant pas si dupes que ça au final.
Et pourtant, en virant du survival horror d'exploration (déplacements dans des décors précalculés, énigmes, fouilles, caméras fixes…) au third person shooter, la saga Biohazard avait certes connu une évolution importante et révolutionnaire aux yeux de son audience, mais nous ne savions pas qu'elle allait influencer, à la vue du succès interplanétaire de cet épisode, une mauvaise direction pour la suite des opérations. Paradoxal comme une idée de génie peut vite se métamorphoser en produit marketing lorsqu'on en abuse au fil des années…
Avant dernier jeu à faire partie de l'accord « Capcom Five », qui stipulait la sortie de cinq titres exclusifs "made in Capcom" pour la 128 bits de Nintendo, il faut savoir que le développement de Resident Evil 4 avait quand même coûté pas mal de brouzoufs aux équipes de Mikami.
Tantôt rejetée, puis repensée (voire même annulé, si si !), même si les premiers jets de la bêta, proposée par Kamiya en 1998 à Capcom, et à la base prévue sur PS2, concernait les aventures de Leon Scott Kennedy, parti faire une virée en Europe pour casser du virus, le projet se transforma au fil des ans en tout autre chose : Devil May Cry.
L'idée étant de prendre un virage à 180° mais surtout de vendre le maximum de copies (Capcom, les yeux plus gros que le ventre…), un travail d'investigation architectural en Espagne fut mis en chantier, d'où l'aspect si particulier de cet opus dans sa forme et son background.
Il fallait alors reprendre le principal attrait, la marque fétiche de la licence : la peur. Et quoi de plus stressant que de vivre l'action à travers les yeux du personnage ?
La vue à l'épaule fut ainsi imaginée par Kamiya et les premiers retours furent sans conteste positifs : l'expérience était totale selon Mikami lui-même ! Même en se pointant tranquillement avec son concept novateur et son parti pris effronté, Resident Evil 4 ne dispose pas du pitch le plus révolutionnaire de la série, la mythologie "Umbrella" étant ici écartée pour laisser place à une intrigue plus terre à terre… Mais toutefois pas si éloignée qu'on pourrait le croire au premier abord…
Perdu au milieu de nulle part, le président des États-Unis himself vous envoie, vous, Leon S. Kennedy, récupérer sa fille Ashley capturée par un groupuscule localisé en Europe, dans les contrées hispaniques. L'ex-héros de Resident Evil 2 se voit donc à lui tout seul, tel un Jack Bauer inépuisable, confier d'une mission au combien dangereuse, si bien qu'il sait pertinemment dans quel genre de pétrin il est parti se fourrer… Et pour cause…
À peine arrivé sur place, il ne faudra pas beaucoup de temps à notre bellâtre ex-flic de Raccoon City avant de comprendre que le cauchemar recommence. Il se verra affronter toutes sortes d'abominations, en passant du simple villageois infecté par le parasite "Las Plagas" (bien plus puissant que le Virus-G des premiers opus, c'est comme comparer les zombies de Walking Dead à ceux de 28 jours plus tard) aux Regenadors (créatures increvables) en passant par les habituels Cerbères, des Trolls géants (El Gigante), Del Lago (une salamandre mutante) voire même des fanatiques armés d'une tronçonneuse et masqué par un sac de chez Carrefour (mes préférés, que l'on croisera également dans le cinquième opus), du beau monde en sommes et varié avec ça !
Leon croisera également deux ou trois têtes familières qui lui feront rappeler ses origines telles qu’Albert Wesker (le pauvre court après tout le monde), Ada Wong de Biohazard 2 ainsi que d'anciennes connaissances comme Jack Krauzer, ex-collègue de Leon, passé pour mort et revenu régler deux ou trois comptes…
Les créatures des précédents opus vous ont paru lentes et fatiguées ? Qu'à cela ne tienne, on passe au level supérieur ! Si les boss et autres entités démesurées respectent encore et toujours des mécaniques bien connues, les humains infectés vous courront après jusqu'à ce que mort s'en suive. Ici on ne vous lâche pas, on vous traque, on réfléchit, on passe par les fenêtres, on remet les échelles pour vous atteindre aux étages, on vous cherche… Bref, vous n'aurez aucun instant de tranquillité…
Croyez-moi, Capcom met nos nerfs à rude épreuve : c'est la peur et l'angoisse de tomber sur je ne sais quelle abomination, n'importe où et n'importe quand, qui font de cet opus le précurseur d'une série de thirs person shooter efficace et mis en scène de façon redoutable.
Par plus tard, il inspirera d'ailleurs les grands noms du survival horror (je pense au mythique Dead Space de Visceral Game, l'un de mes titres Top 10).
Et en parlant « d'atmosphère », on peut sans problème évoquer le caractère "particulier" de cet épisode : Resident Evil 4 nous propose en effet de visiter des espaces très clichés de notre bon vieux continent certes mais efficaces puisqu'il arrive à mettre, sans difficulté, le joueur mal à l'aise. Le cachet froid, humide et malsain n'en est alors que plus respecté : forêt brumeuse, château médiéval, village infesté, base militaire… Tels sont les exemples d'escales de notre agent Kennedy qui pour le coup se voit transformer en une véritable machine de guerre !
Le gameplay ayant été revu et complètement passé au Kärcher avec sa vue à la troisième personne (au dessus de l'épaule de Leon se situant à gauche de votre écran, assurant un système de visée et un champ de vision optimal), Capcom ne fera pas les choses à moitié puisque tout est ici mis au service de l'action pure et dure. Arsenal conséquent et digne de la série, coups au corps puissants et ravageurs (malgré l'absence de strafe), mise en place d'un tout nouveau système de "cinématiques interactives" (que l'on appellera par plus tard QTE et dont les développeurs abuseront sur moult de leurs productions…). Les équipes de Mikami nous balancent un tas de bonnes idées en pleine face et on en redemande !
On retrouve néanmoins sans problèmes les mécaniques de la série : spray et herbes de couleurs, coffres, énigmes de base… Notons également l'apparition d'un mystérieux marchand d'armes (nous l'appellerons "Mr. Welcome") qui avait fait, à l'époque, l'objet de stipulations les plus folles et dont l'identité reste encore aujourd'hui énigmatique…
Côté technique, que dire si ce n'est que Capcom a tout simplement créé l'un des softs les plus aboutis de la GameCube !
Poussée dans ses derniers retranchements, la petite 128 bits de Nintendo donne tout ce qu'elle a pour nous exposer une ribambelle de détails dans des décors en 3D temps réels aussi admirables qu'horrifiques.
Capcom nous met KO avec ses effets de lumières exploités intelligemment, ce petit côté crasseux et filtré qui donne un certains charme au titre, la taille des boss… Le tout sans réelle baisse de framerate, du grand art !
Disposant d'une durée de vie record pour un survival horror, surtout orienté action (entre 15 et 20 heures), sans compter le fait que l'on s'y replonge avec plaisir, d'une bande son magistrale en nous projetant au cœur même de l'épouvante et de l'action, Resident Evil 4 est, n'ayons pas peur des mots, un véritable chef d'œuvre du genre. Il sera d'ailleurs récompensé par la presse, les critiques et le public pour ses multiples qualités. Un véritable sans faute !
Étrangement, malgré le nombre de conversions dont bénéficiera le titre par la suite, c'est bien cette première mouture GameCube qui restera dans le cœur des fans. Il dispose en effet de ce cachet visuel si particulier qui lui procure une identité unique.
Si vous ne l'avez pas encore essayé (ce qui m'étonnerait fortement !), jetez-vous dessus ! Plus qu'un ordre, c'est une obligation…
AndJoy !