REVIEW

ATARI Jaguar

ATARI

RÉDACTION : HYDCLOUD · 23 JANVIER 2014

INFOS

FABRIQUANT

Atari

GÉNÉRATION

5

PROCESSEUR

Multi-processeurs (Tom & Jerry)

MÉDIA

Cartouche

SORTIE EUROPÉENNE

18 novembre 1993

Bienvenue dans un monde où le mot « crise » ne fait pas encore partie du vocabulaire des grandes industries… Bienvenue dans un monde où les gros actionnaires se lançaient, la tête la première, dans des projets aussi frayeux qu'improbables, quitte à perdre quelques millions de dollars en cas d'échec commercial… Bienvenue dans un monde où seul celui qui montre la plus grosse (bits !?) peut se proclamer souverain d'une industrie en pleine croissance… Bienvenue dans le monde de l'Atari Jaguar…

Ne cherchez pas plus loin : si vous vous demandiez comment l'un des acteurs majeurs de l'industrie vidéoludique, qui a non seulement créé le tout premier jeu d'arcade grand public de l'histoire (le truc avec deux bâtons qui passent leur temps à s'envoyer une balle… Comment ça s'appelle déjà…) mais aussi participé à l'expansion fulgurante du marché mondial des machines de salon vers la fin des années 70, a bien pu faire son compte pour s'autodétruire malgré une situation financière plus que confortable…

Vous avez la réponse en un seul mot : le Jaguar !

Voyez vous chers amis, l'Atari Jaguar est le résultat même d'une étude de marché mal menée, la preuve que, tel Scarface, tout peut être renversé tel un château de cartes quand on devient trop gourmand et il ne faut pas remonter bien loin dans le temps pour comprendre ce qui a bien pu se passer dans ce monde de Bisounours…

L'intention n'était pourtant pas si mauvaise que ça. Nous sommes aux prémices de l'année 1989, alors qu'Atari dispose d'un parc confortable de solutions micros grand public (ST, STE, Mega ST, Stacy…) et qu'il tente de couper l'herbe sous le pied de Nintendo, sempiternel ténor du secteur des consoles portables, avec une Lynx qui décidément peine à décoller faute d'arguments marketing, des bruits de couloir font état d'un projet déjà bien avancé… Nom de code : Panther. Une console 16/32 bits, cadencée par le désormais célèbre (et antique !) Motorola MC68000 (ST, Megadrive…) est en effet dans les cartons d'Atari et c'est Richard Miller, ex-ingénieur chez Sinclair et désormais vice-président du département de recherches chez Atari (on lui doit notamment le Falcon 030) qui s'y colle !

Nous sommes à l’âge d’or de la 2D, alors que des machines comme la Megadrive, la NES et la Neo Geo cartonnent outre Atlantique, Miller ne prévoit pas d’architecturer son futur bébé félin autour de la 3D mais promet néanmoins un affichage 2D de plus de 8000 couleurs sur une palette de 262144… Sauf que les choses iront très vite par la suite !

L'anglais, Jeff Minter, game designer (et hippie !) de génie, au combien connu pour ses projets farfelus et décalés sur C64 et Spectrum, rejoint le projet. Il est très intéressé par les possibilités de la machine et il va s'en dire qu'avec une telle association, la Panther risque de faire mal, très mal (un prototype sera même présenté officiellement) ! Sauf que…
Nous sommes en 1991, Atari ayant revu ses objectifs se lance dans un autre projet en parallèle et qui concurrencera directement la Panther. Nom de code : Jaguar !

Deux projets aussi ambitieux l'un que l'autre s'affrontant au sein d'une même entreprise, il ne peut y en rester qu'un ! Le projet Jaguar est en réalité né des cendres d'un programme abandonné depuis belle lurette, le Konix Multisystem, une machine révolutionnaire développée par les anglais de Flare Technologies, plus spécifiquement par John Mathieson et Martin Brennan, ingénieurs anglais de renommée. Jeff Minter n’étant pas vraiment « innocent » à ce projet, car il a également participé à l’élaboration de la machine chez Konix, on peut donc comprendre le caractère très « particulier » de la bête : imaginez une console dont la seule forme se réduirait à un Joystick géant mais surtout modulable et qui pourrait prendre la forme de n’importe quel feature (volant, guidon de moto…) !

Malgré la sortie d'un prototype, le projet sera malheureusement mis au placard mais racheté par Atari pour la conception du son futur Jaguar !

Les années passent, la course à la puissance bat son plein, nous entrons tout doucement dans la grande époque vidéoludique que j'appellerais « l'année du n'importe quoi » !

Les géants de l'électronique, qu'ils soient novices dans ce secteur ou non, et du monde du jeu vidéo vont en effet mettre en chantier des bécanes d'une « nouvelle ère » ! Entre le système 3DO de Trip Hawkins, monstre de puissance 32 bits hors de prix, le projet « Mars » de Sega (qui deviendra le champignon 32X), le projet « Saturn », l'Amiga CD32 de Commodore (un Amiga 1200 consolisé), le Neo Geo CD d'SNK… Toutes les grosses franchises veulent leur part du lion dans ce business en plein expansion ! Les constructeurs nous mettent l'eau à la bouche avec leur « 32 bits » et leur lecteur CD, support du futur, et se lancent à corps perdus (ou pas !) dans une guerre qui ne laissera que peu d'élus en vie…

Atari, n'ayant d'égal que lui-même, sait pertinemment ce que recherche l'acheteur : la puissance ! C'est alors que le projet Panther sera écrasé par le projet Jaguar, beaucoup plus ambitieux car cette fois-ci, on ne joue plus…

Le géant américain annoncera une machine équipée d’une puissance de calcul jusqu’ici inégalée : ce n’est pas 16 (pfff), 32 (mdr !) mais 64 bits que la Jaguar embarquera !  Miller étant toujours responsable du projet et rejoint par les ex-ingénieurs de Konix, aura fort à faire pour distancer une concurrence déjà bien implantée sur le marché, d’autant plus que, évolution oblige, la console sera cette fois-ci dédiée en grande partie à la 3D. La console nous promet du lourd et ce pour un prix plus qu'accessible (250 $), les équipes de Miller n'auront pas droit à l'erreur et Atari est attendu au tournant non seulement par le grand public mais également par les grosses industries qui voient d'un (très) mauvais œil ce futur prodige.

Nous sommes en août 1993 et la machine est déjà présentée au grand public lors du CES de Chicago !

La Jaguar fait mal, très mal, jusqu'à mettre une claque sans retour à sa seule concurrente en terme de puissance, la 3DO. Les éditeurs tiers commencent à se pencher sur le sujet, banco pour Atari qui ne tardera pas à lancer une production massive du félin, job qui sera confié directement par IBM himself !
La console étant annoncée pour octobre 1993 (seulement deux mois plus tard !), Atari sera victime de son succès. Les précommandes sont trop importantes, le seul hic est que le géant américain, qui n'était plus habitué à un tel succès avec ses échecs passés, n'a prévu de fabriquer que 50000 unités qui seront commercialisées uniquement sur un marché ciblé : San Francisco et New York.


Atari décidera alors de repousser la sortie officielle de la Jaguar (un mois plus tard) avec quatre titres au line-up : Cybermorph (vendu en bundle avec la console), Trevor McFur in Crescent Galaxy, Raiden et Dino Dudes. Tout ceci est bien joli mais aucun de ces titres ne semblent démontrer les réelles capacités de la Jaguar, un comble !

Il faudra alors attendre sept mois ( !) pour voir débouler le seul titre qui justifierait l’achat de la machine : Tempest 2000, par ailleurs développé par Minter himself.

Oui mais alors… C'est Tout !? C'est donc ça l'Atari Jaguar, machine du futur qui scandait haut et fort être la console de salon la plus puissante jamais conçue ? Il ne faut en effet pas regarder bien loin pour comprendre ce qu’il se passe : la machine est puissance, certes sauf qu’Atari a joué sur les chiffres et a, en quelques sortes, noyé le poisson car la Jaguar n’embarque par réellement 64 bits !

Construite autour de cinq processeurs centraux, l’Atari Jaguar est conçue selon une architecture complexe, bien trop complexe pour les tiers qui ont décidément bien du mal à tirer partie des possibilités de la machine !
La partie affichage appelée « Tom » (qui contient trois chipsets graphique pour l'affichage, les FX et l'accélération 3D) permettant une définition VGA (640x480) et la partie « Jerry » (équipée d'un chipset sonore promettant un rendu CD) sont bel et bien cadencée sur 32/64 bits certes mais la présence du cinquième chipset, le très ancien Motorola MC68000 repris du projet Panther, n'est absolument pas adaptée à une telle configuration… Pire, elle ne fait que restreindre les possibilités de la machine !

Grosse erreur de calcul qu'aura fait Atari en ayant construit une machine surpuissante mais dont le kit de développement sera au final inexploitable par les tiers. La machine ne donne pas envie aux boites de développement externes : engendrer des coûts de production sur une machine perdue d'avance est tout sauf « bankable »… Nul ne souhaite se lancer dans l'aventure.

En outre, malgré de bonnes idées comme la possibilité de connecter deux Jaguar via un câble spécifique pour les parties multijoueurs impossibles sur une seule machine (Jaglink, précurseur du Câble Link de la PlayStation), Atari a fait l'impasse sur deux données plus qu'essentielles !

En effet, en plus d'avoir « imaginé » l'un des plus mauvais pad jamais conçu de l'histoire (une sorte de « pavé » de commande peu ergonomique, équipé de trois boutons standards de tir et de douze touches numériques destinées à accueillir d'éventuels overlays), une troisième erreur ne va faire qu'enfoncer un peu plus le clou pour Atari : l'adoption du « has been » port cartouche, à l'ère où la majorité de la concurrence (sauf la firme de Kyoto, décidément têtue comme une mule) a bien compris que le CD n'apporterait que des avantages (coût de production et espace de stockage).

Une future extension, le Jaguar CD, sera bel et bien dans les petits papiers d'Atari, mais il sera trop tard, bien trop tard quand à l'avenir du félin et l'add-on fera le flop qui lui sera destiné…

Destiné tout comme l'était d'avance l'avenir de la Jaguar car nul ne peut prouver le contraire : une machine qui démarre mal a peu, très peu de chance de connaître un avenir radieux par la suite (bien entendu, il existe quelques exceptions…).

À l'instar de Sega avec sa Megadrive, la majorité des titres disponibles sur Jaguar seront développés par Atari himself, ne serait-ce par la connaissance du Hardware de la machine mais surtout pour la survie de celle-ci ! Seulement voilà, Atari n'est pas vraiment « réputé » pour le génie de ses softs…
Des titres 3D sans grand intérêt et sans profondeur (Checkered Flag, Club Drive) en passant par des conversions améliorées de jeux 2D sortis depuis belle lurette sur d'autres supports, nécessitant de faibles coûts de production au passage (Zool 2, Dragon, Flashback), voilà ce que nous proposera l'Atari Jaguar… Certains titres font d'ailleurs aujourd'hui l'objet des plus gros gags vidéoludiques de l'histoire (Kazumi Ninja).

Heureusement, fort heureusement, des gros bonnets tels qu'Ubi Soft, Rebellion Developments voire même ID Software se retrousseront les manches et si la Jaguar est capable du pire, elle est tout à fait apte à nous surprendre !

Rayman (au départ exclusif à la Jaguar, véritable vitrine technologique de la machine pour ses possibilités en 2D), Alien vs. Predator (premier soft opposant ces deux monstres sacrés de la SF, démontrant les capacités hors norme de la console d'Atari pour sa 3D), Doom (une des meilleures adaptations du pionnier du FPS de l'histoire !), NBA Jam : Tournament Edition et Theme Park ne sont que quelques exemples des plus gros hits de la machine (et paradoxalement les mieux cotés à qui les chercherait pour sa collection…).

Malgré quelques tentatives de rattrapage avec la sortie de quelques bons titres et l'arrivée de son extension CD, inutile de se convaincre du contraire : l'Atari Jaguar est d'ores et déjà engouffrée dans cette mécanique de suffocation… L'échec de sa 64 bits est inévitable, d'autant plus que la PlayStation et la Saturn sont maintenant dans les bacs !

L'Atari Jaguar restera malgré tout dans le cœur des fans, ne serait qu'au travers de l'émulation (au jour d'aujourd'hui imparfaite tellement la console est une plaie à programmer, c'est dire !) mais aussi avec le soutien des fans puisque des softs continuent de sortir vingt ans après son extinction (Another World, Impulse X, Elansar…).

Petite note tout de même concernant la rareté de la machine. Atari (très certainement pour des raisons budgétaires), a choisi de construire sa console selon une norme universelle… En effet, hormis le signal PAL/NTSC, rien ne différencie les consoles vendues aux USA et en Europe (le packaging étant lui-même identique et multilingue).
Certes, mon exemplaire, trouvé en ligne chez un revendeur Atari à l'époque, date d'il y a maintenant douze ans (soit aux prémices de ma maladie du fétichisme), mais elle reste encore tout à fait trouvable pour une somme raisonnable et ce complète et en bon état (contrairement à son extension CD !).

L’Atari Jaguar ne devrait donc pas vous poser trop de problèmes pécuniers ni de recherches si vous voulez vous lancer dans l’aventure !